Homélie de M. l'abbé Gilles Nadeau lors de la fête de Saint François de Laval

Homélie
2016/05/10
Homélie de M. l'abbé Gilles Nadeau lors de la fête de Saint François de Laval

Homélie - Saint François de Laval

Séminaire de Québec – 5 mai 2016

J’ignore si, à l’époque de Mgr de Laval, on fêtait les 25ème, 50ème et 60ème anniversaires d’ordination. J’ai envie de penser que oui. Comment ça se passait en paroisse ou au Séminaire? Aucune idée. Ça ne se fêtait pas nécessairement le 6 mai, Mgr de Laval était encore vivant! Et on ne célébrait certainement pas la messe de Saint François de Laval! Par contre, je suis pas mal certain qu’à l’occasion de ces événements, que ce soit en rassemblement de communauté chrétienne ou dans l’intimité de la prière personnelle, surgissait cet Évangile qu’on nomme de façon traditionnelle : l’Évangile du Bon Pasteur, comme l’Église nous propose de le faire aujourd’hui.

Il y a plusieurs visages du Christ évoqués dans les Évangiles. Chacun traduit une relation particulière avec Lui : l’ami, le frère, l’époux, le maître, la source, le roi, le roc, le chemin, la vérité, la vie, le Seigneur… Parmi ceux-ci, il en est un qu’on affectionne particulièrement. Tout le monde en saisit vite la richesse, même si on n’a jamais mis le pied dans une bergerie. C’est celle du Christ pasteur et surtout celle du Christ qui insiste pour préciser qu’il est un bon pasteur, pas un bon pasteur parmi d’autres, mais le bon pasteur. Laissons-nous porter par cette image. Qu’elle contribue à créer en nous la fête aujourd’hui, car, en définitive, c’est lui que nous sommes en train de fêter.

La représentation du Christ Pasteur est probablement présente dans les premières pages de l’histoire de notre appel à chacun. Être pasteur comme le Christ, c’est pas mal ce qui nous a attiré vers le ministère presbytéral, sans que nous ne nommions nécessairement les choses de cette façon à l’époque. Rassembler, prendre soin, aller chercher les égarés et surtout que notre projet de vie soit de la donner cette vie, ces désirs nous ont mobilisé assez fortement à un moment ou l’autre de notre histoire au point de nous offrir, un jour, à l’Église pour devenir prêtre. Ce désir a souvent fait l’objet de notre prière individuelle et a sans doute été confié et discerné avec celui qu’on nommait alors le directeur spirituel. Honorons ces moments de notre histoire.

Continuer d’être pasteur et l’être comme lui, devenir de plus en plus de bons pasteurs, c’est pas mal le désir qui nous a soutenu dans les moments de remise en question, les moments de crise, de lassitude qui ont traversé notre histoire personnelle, mais aussi dans les moments de grande ferveur, de recommencements qui font eux aussi partie de cette histoire. Être bon pasteur comme le Christ, avec lui, qu’il continue d’être bon pasteur par nous, c’est certainement un critère majeur de discernement lorsque nous voulons inventer notre façon d’être pasteur, quelles que soient nos conditions actuelles de vie et celles de notre Église. Ça s’invente une façon d’être pasteur. Ça se développe la sollicitude pastorale. Ce n’est jamais fini.

Un cœur de pasteur, ça ne cesse jamais de battre. Avouons-le, une des reconnaissances qui nous touchent le plus, c’est lorsqu’on dit de nous : « Tu es un bon pasteur ». C’est gênant à se faire dire, mais que ça fait du bien! Quelle récompense! Parce que c’est cela que nous avons voulu et que nous voulons toujours devenir. C’est notre choix de vie.

Nous entourons évidemment ce grand désir de beaucoup de pudeur, parce que c’est tellement beau. On ne voudrait pas que ce soit ridiculisé, banalisé ou même mal compris. De plus, porter un tel désir, c’est engageant. On ne voudrait pas décevoir. C’est beau un cœur de pasteur, lorsque ça ouvre une porte sur ce qui l’habite. C’est fête ce soir. On peut bien se laisser aller.

Quand des pasteurs se retrouvent ensemble à écouter ce récit évangélique, un premier réflexe est souvent de penser aux autres et de se demander comment devenir de meilleurs pasteurs. Que d’énergies déployées dans le développement de cet art qu’est la pastorale. C’est tout à notre honneur.

Mais la première compétence pour être un bon pasteur et inventer notre être pasteur comme le Christ le désire, il me semble, consiste d’abord à être une bonne brebis. Le mot brebis peut nous rendre méfiants. Utilisons-le quand-même en ne nous laissant pas trop déranger par l’enveloppe, mais en déballant le contenu du cadeau.

Le Christ nous dit ce soir : « Tu es un bon pasteur parce que tu consens à être une brebis. » Je vous propose ce défi. Fêter le Bon Pasteur, non comme des coéquipiers en mission avec lui, mais le fêter comme des brebis, avec les autres brebis, nos frères et sœurs baptisés-confirmés et, comme le dit la prière eucharistique : « les hommes et les femmes qui te cherchent avec droiture ».

Oublions les autres quelques instants, oublions la pastorale. Laissons le Christ dire à chacun de nous :

  • Je donne ma vie pour toi.
  • Tu es à moi, tu m’appartiens.
  • Tu comptes pour moi.
  • Je te connais.
  • Quand tu quittes la bergerie, je fais tout pour aller te chercher.

Comment pouvons-nous dire ces phrases à nos frères et sœurs si elles n’ont pas d’abord résonné en nous? Et elles résonnent, car si nous sommes ici aujourd’hui, c’est parce qu’elles ont résonné un jour et elles résonnent encore. Elles résonnent de façon différente selon notre personnalité, selon la page d’histoire de notre vie que nous sommes en train d’écrire. S’il y a une fraternité possible entre pasteurs, elle repose entre autres sur le fait que le confrère, comme moi, a entendu et entend encore ces paroles, y a cru et y croit encore. En ce sens, François de Laval est notre frère. Il les a entendues et y a cru. C’est un des lieux où peut se vivre une communion profonde entre nous. Et ce lieu commande le respect et l’admiration.

Je me permets de relever une phrase de l’Évangile qui, cette année, attire mon attention. Je vous la livre, tout simplement.

Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père.

La brebis que je suis est connue du Christ pasteur. C’est une partie essentielle du lien qui nous unit. Il repose sur une connaissance réciproque. Le mercenaire n’est pas intéressé à connaître les brebis. Ce qui l’intéresse, c’est ce qu’elles lui rapportent. En retour, elles, non plus, ne sont pas intéressées. Elles sont plutôt préoccupées à se protéger contre lui. Le bon pasteur a le souci de les connaitre et en retour elles aussi ont le même souci.

Quand le Christ regarde la brebis que je suis, ce qui attire son regard, c’est ma personne, ce que je suis et non ce que je peux lui apporter. Il n’est pas un chasseur de tête pour la pastorale. Je suis unique à ses yeux, objet de toute sa considération.

Se peut-il que dans cette déclaration il y ait, de sa part, une affirmation subtile : « Je te connais mieux que tu ne te connais toi-même »?

Nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Il ajoute : « Je te connais comme le Père me connaît ». Et nous basculons dans le mystère. S’il est une réalité qui est importante chez Jésus c’est que le Père et lui se connaissent. Dans les confidences à la dernière Cène, chez Jean, il nous le rappelle constamment. Il me connaît comme le Père et lui se connaissent. Je ne fais que relever l’affirmation. Nous pourrions faire une retraite là-dessus. Consentir à ce que le Christ soit pasteur pour moi, ça me conduit dans la sphère de la Trinité. Quelle dignité pour une brebis!

Lors des fêtes, on habituellement formule des souhaits. Aujourd’hui je formulerais plutôt une prière.

Que nous consentions de plus en plus à nous laisser connaître par le Christ. Qu’il nous dise ce qu’il connaît de nous et que nous ne pouvons pas découvrir par nous-mêmes. Que nous arrivions à nous connaître comme il nous connaît.

Que nous découvrions de plus en plus ce que signifie pour nous le fait qu’il nous connaisse comme lui et le Père se connaissent. Découvrir en quoi la Trinité est concernée par les brebis que nous sommes. Il y va de notre identité de bon pasteur.

Nous sommes au cœur d’une Eucharistie, rassemblés autour du Bon Pasteur. Il est encore en acte de bonté. Il donne sa vie. À chaque Eucharistie, il redonne tout : « Ceci est mon corps, prenez et mangez. Ceci est mon sang, prenez et buvez. » Dieu se donne lui-même. Il ne donne pas quelque chose, il se donne en chacun de nous. Pour que nous vivions, il donne et redonne sa vie. Il ne retient rien.

En prenant conscience de ce fait, nous découvrons que le lien le plus profond qui nous est offert avec le Bon pasteur dépasse le fait de la connaissance, le fait qu’il nous connaisse et que nous le connaissions. Nous ne sommes plus dans la connaissance, mais dans la communion.

« Moi en vous et vous en moi, comme je suis dans le Père et que le Père est en moi. »

« Je suis le bon pasteur pour mes brebis, parce que nous sommes en communion ». Chacun de vous est en communion avec moi et nous le sommes ensemble en Église.

Les brebis, cet après-midi, sont autour de leur pasteur, leur bon pasteur, le bon pasteur à tout le monde. En respectant toutes nos diversités, nous ne pouvons pas être plus en communion avec le Christ et entre nous qu’à ce moment-ci. Notre communion avec lui est aussi communion avec la Trinité. L’Eucharistie est offrande du Christ au Père, par l’Esprit. Et nous avec Lui.

Nous savons tout cela. En ce jour de fête, puisse-t-il nous être donné d’en prendre une conscience renouvelée, pas avec la tête, mais avec le cœur. C’est de ce lieu que naît la vraie fête en Église. On ne discute pas devant l’amour offert. On le reçoit et on en vit. Dans certains moments privilégiés, on ne discute pas avec le bon pasteur ou au sujet du bon pasteur, on le laisse tout simplement être bon pour nous.