Homélie - 24e dimanche ordinaire A 2020

Homélie
2020/09/14
Homélie - 24e dimanche ordinaire A 2020

24e dimanche ordinaire (Année A 2020)

Homélie
(Éz 33,7-9 ; Rm 13,8-10 ; Mt 18,15-20)

Une belle histoire vraie m’est revenue à la mémoire en relisant l’Évangile de ce dimanche. Il y a plusieurs années, j’avais écrit dans la revue Pastorale-Québec un texte où je racontais la démarche d’une mère. Elle était allée au pénitencier de Donnacona rencontrer les deux jeunes qui avaient tué son fils, et c'était pour leur dire son pardon, une démarche difficile à faire mais qui lui a fait beaucoup de bien.   Quelques semaines après la parution de mon article, j'ai reçu une lettre de l'un de ces deux jeunes. Il s'appelait Mark, le même prénom que le mien sauf qu’il mettait un « k au lieu d’un c ». Dans sa lettre, toute pleine de fautes, signe qu'elle avait vraiment été écrite par lui, il me disait le bonheur que ce pardon lui avait apporté. Il,était très reconnaissait à cette dame  et aussi de l'aumônier qui l’avait aidée à se rendre capable de ce pardon.  La parole de pardon de cette femme et la présence du prêtre à cette démarche mutuelle ont changé mon cœur, écrivait le jeune homme.

Cette mère a vécu ce à quoi Jésus s’attend de la part de ses disciples, ce dont il vient nous entretenir en ce dimanche du temps ordinaire, une expression pleine de sens, des dimanches où la Parole de Dieu vient éclairer notre vie de chaque jour. L’Évangile Il nous pose une question sérieuse et concrète : êtes-vous capables d’une parole ou d’un geste qui pourraient transformer votre cœur et même votre vie, êtes-vous capables de pardon. En réponse à une question de l’apôtre Pierre, probablement à la suite d’un échange des disciples entre eux, les invite, Jésus les invite, nous invite à bien saisir l'importance de ce que le pardon peut causer dans la vie de quelqu’un et cela tout autant le pardon reçu que le pardon donné.

Nous venons d’entendre une autre parabole bien connue, celle du serviteur insolvable, quelqu’un qui ne qui ne parvient pas à régler sa dette, une dette énorme. Jésus veut nous faire prendre conscience qu’il y a une distance très grande entre la bonté de Dieu, sa miséricorde, et la nôtre, trop souvent hésitante à se manifester. Cette distance est si grande que nous ne pourrons jamais nous acquitter de notre dette envers lui. Mais il peut, lui, nous en acquitter; il est l'amour même, il lui est possible de faire comme si nos péchés n'existaient plus, c’est là la miséricorde, le pardon de Dieu à notre égard. Mais, parce qu'il nous respecte, il nous laisse libres d'accueillir son pardon et il nous garde responsables de l'usage que nous pouvons en faire. Cela veut dire que le seul pardon possible, c'est celui que nous demandons après avoir pris conscience de notre péché. Jésus dit dans sa parabole : Je t'avais remis toute ta dette parce que tu m'avais supplié. Cela ne nous fait-il pas penser à notre prière pénitentielle du début de cette Eucharistie ? 

Par sa parabole Jésus veut aussi que ses disciples comprennent, que nous comprenions que le pardon de Dieu nous est accordé pour qu'il devienne en nous capacité de pardon à l'égard des autres. Cela est clairement exprimé dans la parabole. Le pardon de Dieu vient purifier notre cœur pour le rendre capable de pardon. Il nous accorde son pardon, avec empressement et générosité, mais c'est pour que nous devenions, à son exemple, capables de réconciliation. Ne reconnaissons-nous pas avoir compris quand nous disons dans la prière du Notre Père : Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Quand le Seigneur a appris à ses disciples à dire cette prière, il leur rappelait cette parabole redite en ce dimanche. On comprend la contradiction qu'il y a entre le fait de demander pardon à Dieu et le refus de pardonner à son prochain. Demander et accepter le pardon de Dieu puis refuser de pardonner à quelqu'un, cela ne nous ferait-il pas ressembler au mauvais serviteur de la parabole ?

Le pardon que nous accordons à quelqu'un peut sembler n'être qu'un geste ponctuel, peut-être même nous apparaît-il sans importance. Ce n'est jamais le cas parce que tout geste, toute parole de pardon peut porter un double fruit. Inévitablement tout d'abord, le pardon fait du bien à la personne qui l'accorde en la libérant et en se sentant plus vraie dans sa relation avec Dieu. Il est aussi juste de dire que le pardon libère la personne qui en est l'objet, en la soulageant d'un poids qui lui pesait et en l'invitant dans cet événement à tourner son regard vers Dieu, la source de tout pardon. Ce double fruit apparaît très clairement dans le pardon de cette femme dont je vous parlais au début. Est-ce que nous n'avons pas vécu cela nous aussi, soit quand nous avons pardonné, soit quand quelqu'un nous a pardonné ?

Mais l'appel à pardonner ne vient pas uniquement des gestes ou des paroles de quelqu’un à notre égard. Il peut venir aussi de ce qu'il peut être difficile d'accepter quelqu’un tel qu’il est. On souhaiterait que telle personne se comporte autrement, qu’elle change et devienne ce qu’on voudrait qu’elle soit. On lui pardonne mal d'être ce qu’elle est. Beaucoup de conflits prennent là leur source, dans les familles, dans les groupes, dans les communautés. C'est là un pardon, souvent discret, silencieux, que personne ne connaît. Il faut souvent aller en puiser la capacité dans le coeur de Dieu, lui qui est le Père de toutes et de tous, quels qu'ils soient, tels qu'ils sont. Il faut acquérir ce comportement intérieur, cette attitude du coeur, qui fait ressembler davantage à Dieu, le Père de toute miséricorde, de toute tendresse.

Pour faire grandir notre capacité de pardon, il y a peut-être une double attitude à adopter. D'abord, avoir l'humilité de reconnaître que notre vie à nous aussi n'est pas toujours vécue selon l'Évangile et que nous avons besoin du pardon de Dieu source en nous de joie pour que ce pardon fasse sans cesse venir en nous le désir de pardonner. Une autre attitude à acquérir, c'est celle de nous habituer à voir chez l'autre la meilleure part de lui-même, d'elle-même. Sous un extérieur qui nous parait parfois plein de faiblesses, il est toujours possible de découvrir la présence de ce qui presqu'inévitablement qu’une personne est meilleure que l'impression qu'elle peut donner. Cela se vérifie tellement souvent.

Cette réflexion peut nous aider à mieux comprendre la réponse de Jésus à Pierre :  Combien de fois dois-je pardonner ?  Jusqu'à sept fois ? …   Non, jusqu'à soixante-dix fois sept fois !  Une fois de plus, le Seigneur nous invite à le suivre, mais avec lui il ne s'agit pas de calculer ; au contraire, il faut se dépasser et aller de plus en plus loin.

 

Marc Bouchard, prêtre

mbouchard751@gmail.com