HOMÉLIE DU SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DU SÉMINAIRE EN LA FÊTE DE SAINT FRANÇOIS DE SALES PATRON SECONDAIRE DU SÉMINAIRE DE QUÉBEC

Homélie
2022/04/19
HOMÉLIE DU SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DU SÉMINAIRE EN LA FÊTE DE SAINT FRANÇOIS DE SALES PATRON SECONDAIRE DU SÉMINAIRE DE QUÉBEC

Homélie du Supérieur général du Séminaire de Québec

en la fête de Saint François de Sales

Patron secondaire du Séminaire de Québec

24 janvier 2022

 

Chers confrères,

Même si on n’en dit pas toujours du bien, le Séminaire a au moins une dette à l’égard de Mgr de Saint-Vallier qui donna François de Sales comme deuxième patron au Séminaire. Je me suis interrogé sur le sens que pouvait avoir ce patronage à l’époque et pourquoi le choix du deuxième évêque de Québec s’est arrêté sur François de Sales. Plus important, car il ne s’agit pas faire de l’histoire pour de l’histoire, je me suis demandé en quoi ce patronage pouvait encore nous inspirer aujourd’hui.

Le motif qui est à l’origine de ce patronage demeure un peu obscur. On sait seulement que c’est en 1698, l’année même de l’établissement des missions du Séminaire au Mississippi, que Mgr de Saint-Vallier octroie au Séminaire ce second patron, « Comme si le pieux évêque avait voulu, écrit l’abbé Gosselin, mettre ces missions sous la protection spéciale du grand apôtre du Chablais ».

On connaît par ailleurs la grande dévotion qu’avait Mgr de Saint‑Vallier pour François de Sales. Il avait du reste fait un pèlerinage à son tombeau, juste avant sa consécration épiscopale (1688) et la chronique de la visitation d’Annecy relate ce pèlerinage.

Après la messe, il rencontre la communauté « et nous entretient un assez long temps des merveilles qui s’opèrent dans la conversion des pauvres Sauvages. Entre tout ce qu’il nous en dit de plus consolant, c’est leur dévot à saint François de Sales. Ils veulent avoir de ses images dans leurs cabanes, pour la première chose qu’ils font quand leur évêque ou quelques autres les vont visiter, c’est de leur dire en leur montrant cette image : Tiens voilà ce que j’aime.

Au-delà de ces détails, il est intéressant de savoir, au moment où notre évêque, le cardinal Lacroix, demande au Séminaire de prendre le tournant missionnaire, de considérer que ce patronage a été donné au Séminaire dans un contexte missionnaire.

Ma question devient alors la suivante : en quoi François de Sales peut-il nous inspirer aujourd’hui, 400 ans plus tard (il est mort en 1632) alors que le Séminaire est convié à prendre le tournant missionnaire?  Comment François de Sales peut-il nous inspirer, nous qui voulons être missionnaire, sachant qu’il vécut dans un contexte fort différent du nôtre? (on n’a qu’à lire ses écrits pour ressentir l’écart culturel, spirituel et religieux entre son époque et la nôtre).

Au-delà des différences de contexte on peut retrouver une expérience similaire. L’église catholique, à la fin du concile de Trente (1563), était en perte de vitesse et personne n’aurait pas parié sur son avenir :

  • tout le nord de l’Europe était passé à la Réforme ;
  • elle était désormais repliée sur la Méditerranée ;
  • elle n’avait pas le vent en poupe ;
  • elle avait connu une décrue numérique, une véritable saignée.

Il y avait alors des esprits pour proposer la reconquête du terrain perdu et la reprise des positions cédées, par la violence qui s’exprima aussi bien à travers les guerres de religions qui déchirèrent l’Europe que par l’usage des armes spirituelles, notamment les condamnations et les excommunications.  

François de Sales se démarque tout particulièrement de ses contemporains par son attitude non violente à l'égard du protestantisme. Nommé chanoine du chapitre de Genève [où il ne pourra se rendre que de nuit, même une fois évêque; le siège du diocèse devant être transféré de Genève, devenue la Rome de la Réforme, à Annecy], il prononce ces mots dans un discours demeuré célèbre :

« C'est par la charité qu'il faut ébranler les murs de Genève, par la charité qu'il faut l'envahir, par la charité qu'il faut la recouvrer [...]. Je ne vous propose ni le fer, ni cette poudre dont l'odeur et la saveur rappellent la fournaise infernale [...]. C'est par nous-mêmes que nous devons repousser l'ennemi [...], par l'exemple et la sainteté de notre vie [...]. Il faut renverser les murs de Genève par des prières ardentes et livrer l'assaut par la charité fraternelle. »

Les armes de François de Sales ne furent ni les foudres de l'excommunication, ni la conversion par la force, mais la persuasion de l'amour. C'est d'ailleurs l'une de ses devises : « Rien par force, tout par amour ». C’est sans doute le sens du choix du passage de l’Évangile de Jean que la liturgie retient pour cette fête : « Demeurez dans mon amour… »

Il avait compris, avec quelques autres qui illustrèrent cette période et qui donnèrent un nouvel élan à l’Église catholique, que la renaissance (plus que la reconquête) catholique n’allait pas venir par les armes, mais par l’amour et la vigueur spirituelle : « c’est par nous-mêmes…; par l’exemple et la sainteté de notre vie… Il ne s’agissait pas de battre les protestants par le droit [François de Sales avait une formation de juriste] et les armes, ni par la coercition ni par la force (contrairement aux princes de Savoie), mais par une vie spirituelle et une vie de charité rayonnante et conquérante, en mesure de surpasser la vie chrétienne réformée que l’on trouvait chez les protestants, que l’Église allait être relancée. Il avait la conviction, proche de celle que l’on retrouve aujourd’hui chez le pape François, que c’est par la réforme spirituelle ou la purification de l’Église et notre propre conversion/réforme, plus que par l’adversité ou une contre-réforme, que l’Église allait retrouver son rayonnement. Ce n’est pas en multipliant des condamnations que l’on peut évangéliser.

Le missionnaire se distinguera par son amour disait François de Sales, proche en cela de François de Laval qui, dans ses instructions aux missionnaires de 1668 écrivait, au point 5, sous la rubrique « les talents qui font les bons missionnaires » : « Il faut se faire aimer par sa douceur, sa patience et sa charité… »

L’autre porte d’entrée missionnaire que nous offre la liturgie de ce jour, c’est une annonce à tous, une annonce « consistante » du mystère chrétien ou, comme dit Paul, une « annonce aux nations de l’insondable richesse du Christ et de mettre en lumière pour tous le contenu du mystère… » (Ep 3, 8-9)

François de Sales développe quelques moyens :

  • Annonce par la prédication (soignée, riche, intelligente); une proposition chrétienne relevée et pas quelconque ;
  • Diffusion : feuillets, livres, correspondance, entretiens, etc. ;
  • Au peuple : proposer la sainteté au peuple chrétien et pas seulement à ceux qui vivent dans le cloître; couples, laïcs; prendre au sérieux la sainteté.

Ce qu’il propose comme programme, c’est la sainteté et la sainteté au quotidien, adaptée à toutes les conditions de vie, la sainteté qui fleurit en dehors du cloître et de la vie religieuse, la « sainteté de la classe moyenne », comme en parle le pape François dans son exhortation apostolique Gaudete et exultate. En ouverture à son célèbre opuscule Introduction à la vie dévote, François de Sales écrit ces mots :

Dieu commanda en la création aux plantes de porter leurs fruits, chacune selon son genre : ainsi commande-t-il aux chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Église, qu'ils produisent des fruits de dévotion, un chacun selon sa qualité et vocation. La dévotion doit être différemment exercée par le gentilhomme, par l'artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la mariée ; et non seulement cela, mais il faut accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier. Je vous prie, Philothée, serait-il à propos que l'Évêque voulût être solitaire comme les Chartreux ? Et si les mariés ne voulaient rien amasser non plus que les Capucins, si l'artisan était tout le jour à l'église comme le religieux, et le religieux toujours exposé à toutes sortes de rencontres pour le service du prochain comme l'Évêque, cette dévotion ne serait-elle pas ridicule, déréglée et insupportable ? Cette faute néanmoins arrive bien souvent.

[…]

C'est une erreur, mais une hérésie de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés. Il est vrai, Philothée, que la dévotion purement contemplative, monastique et religieuse ne peut être exercée en ces vocations-là, mais aussi, outre ces trois sortes de dévotion, il y en a plusieurs autres, propres à perfectionner ceux qui vivent ès états séculiers. Où que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer à la vie parfaite.

En écho, François écrira :

  1. 6. Ne pensons pas uniquement à ceux qui sont déjà béatifiés ou canonisés. L’Esprit Saint répand la sainteté partout, dans le saint peuple fidèle de Dieu […].
  2. 7. J’aime voir la sainteté dans le patient peuple de Dieu : chez ces parents qui éduquent avec tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les religieuses âgées qui continuent de sourire. Dans cette constance à aller de l’avant chaque jour, je vois la sainteté de l’Église militante. C’est cela, souvent, la sainteté ‘‘de la porte d’à côté’’, de ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de la présence de Dieu, ou, pour employer une autre expression, ‘‘la classe moyenne de la sainteté’’.

Vivre saintement, nous rappelant que « C'est par nous-mêmes que nous devons repousser l'ennemi [...], par l'exemple et la sainteté de notre vie. » Agir avec douceur, amour et patience. Proposer aux hommes, aux femmes et aux enfants de notre époque la sainteté. On a là réuni les deux traités de François de Sales : son Introduction à la vie dévote et son Traité de l’amour de Dieu.

François de Sales, pasteur à une époque où l’Église catholique était affrontée à un immense défi, en Occident, avait réalisé, avec d’autres, que la seule réponse valable à la Réforme protestante n’était pas de la combattre, de l’affronter et de la pourchasser. La seule réponse valable, était de se réformer, de surpasser les réformés eux-mêmes par la vigueur de sa vie spirituelle et par sa charité.

Il avait en quelque sorte perçu que l’Église de son temps souffrait d’ostéoporose (dégradation, perte de densité du tissu osseux » ostéon, os et póros, orifice), c’est-à-dire qu’elle était atteinte jusqu’aux os, ce qui structure et soutient le corps ecclésial, sa charpente en quelque sorte, qui la maintient, lui permet de tenir debout et l’empêche de s’effondrer. Cette structure osseuse s’était affaiblie, avait perdu de sa vigueur et de sa densité en raison de la corruption, du manque de vigueur spirituelle, du manque de nourriture spirituelle offerte à tous, etc.

Être missionnaire à la suite et à l’exemple de François de Sales suppose que l’on soit décidé à se réformer soi-même afin de maintenir sa vigueur spirituelle et que l’on soit en mesure d’offrir à tous une nourriture spirituelle solide dans une forme et un langage approprié, proposer à tous, suivant la condition de chacun, des chemins de sainteté qui se distinguent par la charité qui est la vertu devant laquelle s’effacent toutes les autres.

Le Séminaire a été formé dans ce climat et il a été missionnaire, non seulement en raison de ce qu’il a fait (au Mississippi ou ailleurs), mais en raison de la qualité et la vigueur de la vie chrétienne qu’on y retrouvait, parce qu’on a cultivé ici aussi la sainteté.

Puissions-nous, à la suite de François de Sales et de François de Laval

  • Mener une vie chrétienne qui ne soit pas anémiée, mais une vie spirituelle vigoureuse et exigeante;
  • Nous distinguer par la charité pastorale et la douceur
  • Proposer à tous, quelle que soit sa condition, la proposer en en vivant déjà, la sainteté comme idéal de vie;
  • Innover dans l’art de communiquer le mystère de Dieu.