Homélie du 26e dimanche C 2019 "La justice qui a aussi comme nom le partage"

Homélie
2019/09/25
Homélie du 26e dimanche C 2019 "La justice qui a aussi comme nom le partage"

26e dimanche C 2019
La justice qui a aussi comme nom le partage.
Homélie
(Am 6,1a.4-7 ;Tim 6,11-16 ;Lc 16,19-31)

Voilà un récit évangélique un peu dérangeant, tout comme ceux des dimanches qui ont précédé. Saint Luc semble bien tenir à faire connaître à ses lecteurs des paraboles de Jésus où il est question de l’argent. Dans celle de ce dimanche, Jésus parle d’abord d’une riche demeure où on vit dans un grand luxe, où on fait la fête et souvent. Devant le portail de cette maison, dehors, Jésus nous fait voir un homme, pauvre, malade, dont personne ne s’occupe. Un portail sépare ces deux mondes. Un homme riche est heureux dans ce cadre de vie qu’il s’est donné grâce à son argent, un monde dans lequel il s’est enfermé et qui l’empêche de voir ce qui se passe dans un tout autre monde, juste là devant la porte de sa maison. Remarquons que la parabole ne dit pas que le pauvre était un homme vertueux, ni que le riche était mauvais. Pas du tout, elle dit tout simplement que le riche n’a pas su voir le pauvre, et qu’il a laissé s’établir un mur entre lui et cet homme qui avait besoin de son secours. Il s’agit d’un riche ordinaire, anonyme, auquel Jésus d’ailleurs ne reproche pas d’être riche, mais plutôt d’être aveugle et de se montrer indifférent devant la misère du pauvre qui est à sa porte.

Cette parabole de l’homme riche et du pauvre Lazare est toujours d’actualité ; les médias nous la racontent tous les jours. Comme Amos, dans la première lecture, qui n’est pas tendre envers les riches et les dirigeants de son pays, les prophètes de l’Ancien Testament ne cessaient pas de proclamer ce message de la parabole ; nous connaissons leurs vigoureuses paroles à ce sujet. Pensons à ce que disaient Isaïe, Jérémie et tant d’autres et aussi à ce que répètent si souvent les psaumes. Des prophètes d’aujourd’hui font entendre ce même message et avec force.

Le pape François semble bien, et de plus en plus, se présenter comme l’un d’eux. Lors de sa visite récente dans des pays de l’océan indien, dont Madagascar et le Mozambique, où la majorité des gens vivent dans une grande pauvreté, il a livré un message tout proche de celui de la parabole, même si dans un langage contemporain. Il a encore une fois critiqué la mondialisation économique dont les limites sont toujours plus évidentes, l’accaparement des ressources entre les mains de quelques-uns, ce qui amène la marginalisation croissante des plus pauvres. Ce n’est pas la première fois qu’il dit cela et sûrement pas la dernière. Il a aussi condamné plus d’une fois l’indifférence des dirigeants à l’égard des migrants dans leur quête d’un monde meilleur. La culture du bien-être, a-t-il dit, nous rend insensibles aux cris d’autrui, elle aboutit à une globalisation de l’indifférence. … Nous ne sommes plus attentifs au monde dans lequel nous vivons. … Nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle. Il n’hésite pas à critiquer sévèrement le système économique mondial qui érige l’argent en maître et pénalise les gens les plus faibles de la société. Il n’est quand même pas loin de ce que les évangiles nous rapportent des paroles de Jésus.

Il est frappant, dans cette parabole, qu’il ne soit pas question des bonnes œuvres ou des mérites Lazare. Cet homme, de son vivant, était pauvre, affamé, misérable, c’est tout ce qu’on sait de lui. Voilà que dans l’au-delà tout est renversé, ce pauvre a la place d’honneur, à la droite d’Abraham, ce n’est pas situation. Par cette parabole, Jésus veut nous dire quelque chose de dérangeant au sujet de Dieu, c’est que Dieu est du côté des pauvres. Cette parabole rappelle la première béatitude chez saint Luc : Heureux les pauvres, car le Royaume des cieux est à vous, et la seconde : Heureux vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Elle évoque aussi le Magnificat, le cantique de Marie, qu’on peut lire aussi dans l’évangile de saint Luc : Le Seigneur renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Aux pauvres, il est est annoncé que le Royaume des cieux est aussi pour eux. Si Dieu n’exclut personne de son salut, il accueille particulièrement et avec joie, ceux et celles qui durant leur vie ont été ignorés par la société, ont été privés de bonheur. Cette parabole proclame avant tout que Dieu ne laisse personne de côté. Ce que ces béatitudes et cette parabole, rapportées par saint Luc, veulent mettre en relief, c’est d’abord ce visage de Dieu.

Cette parabole du riche et de Lazare rappelle que la richesse comporte deux dangers. Chez ceux et celles pour qui n’existent alors que les biens matériels, elle peut fermer leur cœur à Dieu. Chez ceux et celles qui ne veulent pas voir le pauvre qui est là devant leur porte, elle fait qu’ils ferment aux autres la porte de leur coeur. Quelle que soit l’importance de notre aisance, de notre confort, de notre manière de vivre, il y a toujours un Lazare couché devant le portail de notre maison, quelqu’un qui attend et espère un peu de compassion, d’aide, d’encouragement, de partage fraternel. J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger; j’étais un étranger et vous m’avez accueilli; j’étais malade et vous m’avez visité… Chaque fois que vous avez fait cela à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, mes sœurs, c’est à moi que vous l’avez fait.

Chaque eucharistie nous redit cela, d’une autre manière. Comment pouvons-nous bénéficier de cet accueil à la table du Seigneur où il nous partage en abondance cette nourriture spirituelle que sont sa parole de lumière et son pain de vie, sans nous sentir appelés à ouvrir notre cœur avec bienveillance et à nous montrer accueillants à ceux et celles qui ont besoin de notre aide. Comme il nous était dit dans la deuxième lecture : Toi, homme de Dieu recherche la justice, la piété, la charité, la persévérance et la douceur, la justice qui a aussi comme nom le partage.

Marc Bouchard, prêtre